Paris a accueilli le 7 février dernier la cinquième édition de l’AI France Summit, un événement poussé par Numeum, en amont de l’AI Action Summit organisé par l’Élysée. Débats, rencontres, start-ups : notre compte rendu.
L’AI France Summit a franchi une nouvelle étape avec une dimension nationale et internationale réaffirmée, un focus sur les cas d’usage concrets de l’IA, la restitution de recommandations stratégiques du Tech7 et des travaux menés dans le cadre du Tour de France de l’IA, ainsi que des échanges sur la réglementation européenne pour mieux préparer les acteurs à l’AI Act. « Cette cinquième édition se déroule dans un contexte international particulier. La course à l’IA bat son plein dans le monde. Chaque semaine amène son lot d’innovations technologiques, de nouvelles levées de fonds et annonces politiques. De ce contexte, je retire deux enseignements. Le premier est que les cycles technologiques sont très rapides. Les positions de certains acteurs, qui semblaient bien établies, ne sont finalement pas si figées que cela. Je m’inscris de ce fait en désaccord avec les discours défaitistes avançant que l’Europe aurait déjà perdu la course de l’IA. La réalité est que le jeu est encore extrêmement ouvert. La richesse de l’écosystème représenté aujourd’hui en est la preuve », a déclaré Véronique Torner, Présidente de Numeum. « Le deuxième enseignement est que l’IA est un enjeu majeur de compétitivité. Si nous ne prenons pas suffisamment le virage de l’IA, nous risquons très clairement de subir non seulement un retard technologique, mais aussi un décrochage productif vis-à-vis du reste du monde. Il faut que l’Europe prenne davantage la mesure des enjeux et mène une véritable politique industrielle pour l’IA, comme elle a su le faire dans le domaine spatial », a-t-elle ajouté.
Les Français, « meilleurs du monde » en matière d’IA
Un des temps forts de la journée a été l’intervention de Luc Julia, Directeur scientifique de Renault. Selon lui, les Français sont les meilleurs du monde en matière d’IA. « L’IA, ce sont des mathématiques. Et il se trouve que, depuis 300 ans, les Français sont les meilleurs en maths. Cela se voit notamment en nombre de médailles Fields. Cela se voit aussi dans la Silicon Valley : quand on regarde tous les chefs de l’IA de toutes les grandes entreprises que vous connaissez – Meta, Netflix, Google… -, ce sont des Français. Les Français sont reconnus là-bas comme des gourous de l’IA. Cela ne se voit pas forcément d’ici, et nous aimons bien nous flageller, mais nous sommes les meilleurs en IA, un point c’est tout », a-t-il affirmé.
Selon lui, la France réunit aujourd’hui les conditions pour faire éclore un nouveau Siri (Luc Julia est l’un des concepteurs de l’assistant vocal Siri), grâce notamment à la French Tech, créée par Fleur Pellerin, alors Ministre déléguée auprès du ministre de l’Innovation et de l’Économie numérique, en 2013. « Les conditions sont réunies pour faire éclore un tel projet. Mais il faut ensuite l’arroser avec beaucoup d’argent, à coups de milliards. Pour cela, il ne faut surtout pas essayer de copier la Silicon Valley qui tire son essence de la conquête de l’Ouest, de la ruée vers l’or… Ce n’est pas notre histoire. Mais nous pouvons faire autrement. Nous avons la capacité mathématique, scientifique, philosophique et historique d’y parvenir. Le Siècle des Lumières peut renaître. Nous sommes ‘poly-techniques’, ce qui constitue un atout extraordinaire qu’ils n’ont pas là-bas », a-t-il ajouté.
Quels modes de vie demain façonnés par l’IA ?
Autre temps fort de la journée : l’intervention de Julien Tauvel, Designer et futuriste chez Imprudence, dont il est le cofondateur. Sa keynote a été consacrée aux nouveaux modes de vie que l’IA va façonner. Julien Tauvel a décrit l’évolution potentielle que nos modes de vie pourraient suivre d’ici à 2035. Le futuriste a commencé par 2025, année caractérisée par « du scrapping sauvage, d’hallucinations pas toujours maîtrisées, d’investisseurs plus circonspects, de gains contrariés. Nous ne sommes pas au niveau du métaverse ou des NFT, mais c’est le moment où nous réfléchissons à faire émerger une autre approche et un nouveau modèle de cette technologie ».
En 2026, Julien Tauvel imagine la montée en puissance des IA incarnées, certaines d’entre elles – véritables artistes à la manière des idols de la K-pop – devenant millionnaires : « 2026 est l’année où nous avons vu apparaitre une idol complètement autonome et virtuelle. Elle a généré ses propres musiques et ses propres contenus sur les réseaux sociaux. Elle a atteint un milliard de streams, comme Taylor Swift deux ans avant elle, sauf qu’on ne sait pas combien d’IA et d’humains y ont participé. Cela nous montre que l’IA, c’est bien la fin du travail, mais pas pour tout le monde ».
Six ans plus tard, en 2032, Julien Tauvel pense à une IA qui s’est mis en tête de diriger le monde. « Une IA s’est levée pour les gouverner toutes, générant ses propres followers et bots, teintant et colorant toutes les IA de ses extrêmes. Chose extrêmement rare, la Russie, la Chine, l’Europe et les États-Unis, ont décidé de la priver, via un blackout, de tout réseau pendant une journée pour essayer de la neutraliser », avance le futuriste. En parallèle, l’Europe – qui continue de placer l’humain au centre, contre la technologie – met en place un revenu de transition technologique. « Ce revenu aide les personnes dont l’emploi est menacé par l’intelligence artificielle. Cela représente 1,2 million d’emplois en France en 2032 et déjà 500 000 personnes en bénéficient », imagine-t-il.
En 2035, l’IA est plus régulée que jamais, non pas pour des raisons politiques ou sociales, mais environnementales : « les coupures d’eau massives et régulières en Europe et aux États-Unis nous forcent à prioriser nos usages. Est-ce la fin pour l’IA ? Oui, mais pour une certaine IA : une IA grandiloquente, pervasive, accélérée, toute puissante. L’Europe a, de son côté, bâti une IA résiliente, low tech, Edge, conçue pour l’humain, le vivant et les vivants, conçue pour la résilience nécessaire au monde qui vient », propose-t-il, avant de conclure : « Tout cela n’est qu’un futur possible et c’est bien aux acteurs de l’IA de décider s’ils veulent le faire advenir ou pas, parce que le futur de l’IA, c’est maintenant ».
Clara Chappaz : « Ne rougissons pas de là où nous en sommes »
En amont du Sommet pour l’Action sur l’intelligence artificielle, le Medef, les Medef régionaux et territoriaux, en partenariat avec Numeum, ont organisé le Tour de France de l’IA du 30 octobre 2024 au 4 février 2025. « À travers les 25 dates que nous avons organisées dans les territoires, nous avons eu l’opportunité de sensibiliser les chefs d’entreprise aux enjeux liés à l’IA, avec le message suivant : l’IA ne doit pas faire peur, elle représente des gains de productivité et de compétitivité pour notre économie », a déclaré Olivier Cazzulo, Administrateur et membre du Comex en charge des régions de Numeum. Un document de synthèse du Tour de France de l’IA a d’ailleurs été publié à cette occasion.
La journée s’est terminée par l’intervention de Clara Chappaz, Ministre déléguée en chargée de l’Intelligence artificielle et du numérique. « La vision de ce sommet est de dire que l’IA transforme nos vies. Elle le fait à travers d’usages anodins que nous ne voyons même plus comme les recommandations de trajets ou de musique. Mais aussi à travers des usages fondamentaux, comme la recherche de traitements contre le cancer, ou dans le domaine de la défense. L’IA est absolument partout, ce n’est pas un ‘truc de geek’, c’est une technologie transformative. Nous n’avons par ailleurs pas à rougir de là où nous en sommes. Nous avons une formidable carte à jouer de par notre historique, notre excellence en mathématiques, notre culture, notre investissement dans l’éducation… », a-t-elle rappelé.