Pour sa chronique dédiée à la transformation des entreprises de services du numérique (ESN), Sylvain Fievet met en lumière un dirigeant qui allie ambition stratégique, fidélité aux valeurs d’entreprise et pragmatisme opérationnel. Nommé à la tête de SCC France en avril 2025, Gaël Menu incarne une nouvelle étape pour un acteur industriel majeur du numérique français.
À la croisée d’un héritage puissant – celui de la distribution IT et du secteur public – et d’un impératif de transformation, j’ai entendu Gaël Menu, nouveau dirigeant de SCC, assumer une ligne de conduite claire : poursuivre la croissance, renforcer la valeur, sans trahir l’ADN de l’entreprise. Dans un contexte de dépendance croissante aux éditeurs dominants, de pression sur les marges et de montée des enjeux de souveraineté, il trace sa route avec méthode et conviction. Et porte une parole rare : responsable, lucide, incarnée.
Hériter sans effacer
Dès le début de notre échange, Gaël Menu m’a parlé de continuité. Pas comme d’un confort, mais comme d’un devoir. « Didier Lejeune a laissé une marque forte. J’ai une autre posture : je délègue plus, je fais confiance, mais je trace un cap. » Il assume cette filiation, qu’il qualifie de « précieuse », tout en affirmant sa propre dynamique. Je sens chez lui une forme de loyauté active : ne pas rompre, mais adapter, actualiser, projeter. Avec, en arrière-plan, la confiance affirmée de la famille Rigby, actionnaire historique et européen du groupe, qui lui donne la latitude nécessaire pour faire bouger les lignes au bon rythme.
9 % de croissance et un cap ambitieux : le modèle tient, mais doit évoluer
À la clôture de l’exercice écoulé, SCC France prévoit d’afficher une croissance de +9 %, dans un marché IT où nombre d’acteurs ont ralenti. Ce résultat s’inscrit dans la continuité du plan Upscale 2025, désormais achevé, et ouvre une nouvelle phase de développement : doubler l’activité services d’ici 4 ans, atteindre 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et positionner SCC parmi les 3 premiers acteurs IT en France d’ici 2030. « C’est une preuve que notre socle fonctionne. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien changer. » Il insiste sur la nécessité d’industrialiser davantage les services, d’investir dans l’exécution, de monter en valeur auprès du client. Son cap est clair : atteindre 500 M€ de chiffre d’affaires dans les services d’ici 2030 — pour un point de départ à environ 200 M€ aujourd’hui — en consolidant les pôles logiciels, infrastructures et digital workplace. Mais il ne veut pas répliquer les modèles classiques des ESN. Ce qu’il porte, c’est une ligne singulière, enracinée dans l’histoire de SCC, mais tendue vers la transformation.
Mutualisation : un choix stratégique face à un marché d’achat public fragmenté
S’il y a un sujet sur lequel Gaël Menu s’est montré particulièrement direct dans notre échange, c’est celui de la mutualisation. Il ne l’aborde pas comme un concept abstrait, mais comme un levier opérationnel et une politique centrale pour SCC. « Le marché public français est devenu une mosaïque très complexe, peu lisible, parfois inefficace. Il faut réapprendre à mutualiser. » Je l’ai senti perplexe sur la démultiplication des centrales d’achat, des appels d’offres redondants, des renégociations isolées. « Pourquoi chaque hôpital, chaque région, chaque agence doit-elle refaire seule un processus qui pourrait être partagé ? Ce manque de coordination crée de la perte de valeur, pour tout le monde. » Ce diagnostic, il l’assume. Et il le transforme en action. SCC investit pour proposer des outils de pilotage contractuel, de négociation collective, de veille sur les usages, en s’appuyant sur sa connaissance fine des catalogues multi-éditeurs. Il m’a confié vouloir faire de cette logique de mutualisation l’ADN de sa stratégie services. Pas seulement comme facilitateur commercial, mais comme partenaire systémique de la performance publique. Et derrière la mécanique, j’ai perçu une ambition politique assumée : faire de SCC un acteur résolument utile dans un moment où l’optimisation des budgets est une urgence.
Face aux acteurs dominants : créer un espace de manœuvre
Le cas Microsoft est emblématique. SCC réalise près de 600 M€ de chiffre d’affaires avec l’éditeur, mais pendant deux ans, l’entreprise n’a plus eu aucun interlocuteur. « Nous étions devenus invisibles dans leur chaîne de valeur. » Il ne le dit pas avec amertume. Il le dit comme un fait. Et une alerte. Sa réponse : développer une marketplace maison, enrichir le portefeuille de plus de 3 300 éditeurs, valoriser les solutions souveraines, accompagner les clients dans leurs négociations. Il parle peu de confrontation. Mais beaucoup de pouvoir d’agir. « Notre rôle, c’est de créer des marges de manœuvre, de redonner aux clients des leviers de choix. Et ce rôle, on l’assume. »
Le sens d’un rôle : utile, ancré, collectif
Ce que j’ai trouvé de plus fort dans notre discussion, c’est cette manière qu’a Gaël Menu de penser SCC comme un acteur ouvert. Il ne cherche pas à se détacher de la culture industrielle du groupe, il veut l’ouvrir à d’autres missions. Cette ouverture passe aussi par une nouvelle logique d’écosystème. Gaël Menu a ainsi engagé des partenariats croisés, notamment avec Capgemini : « Cap peut nous mobiliser sur les services de proximité, et nous pouvons nous appuyer sur leur expertise en transformation, conseil, trajectoires IT. »
J’ai senti ici une volonté de rompre avec le réflexe de la concurrence systématique. Il s’agit de créer de la complémentarité entre acteurs, dans un moment où les clients attendent des offres intégrées, mais pilotables.
Il m’a aussi parlé de la structuration d’une équipe dédiée aux relations avec les grands intégrateurs (Capgemini, Devoteam, Sopra, Accenture…), preuve que SCC veut jouer collectif – mais de façon structurée, alignée, ciblée.
Il m’a parlé de l’héritage des Jeux olympiques, qu’il a piloté chez SCC comme un chantier intense, collectif, exigeant. Cette expérience a donné lieu à une practice dédiée aux grands événements internationaux. Il y a vu la preuve que SCC sait faire face à des projets critiques, tout en se réinventant dans l’action. Et quand il parle du secteur public, ce n’est jamais pour le considérer comme un simple client. C’est un terrain de réciprocité. « On doit rester au service, mais aussi participer à la transformation. En étant solides, accessibles, adaptables. »
En 2030 : avoir changé l’ADN sans trahir l’essence
Quand je lui ai demandé ce qu’il veut pouvoir dire en 2030, Gaël Menu m’a répondu sans hésiter : « Que notre ADN a changé. Et que c’était prévu. Et porté. » SCC restera un distributeur industriel. Mais elle deviendra aussi une entreprise de services hybrides, un acteur d’écosystème, un partenaire de confiance dans un monde numérique fragmenté. Ce qu’il m’a transmis tout au long de notre entretien, c’est cette capacité à articuler changement et continuité. Gaël Menu ne cherche pas à impressionner. Il veut transformer sans brutaliser. Et dans la manière qu’il a de parler de sa mission, j’ai reconnu une forme rare de leadership : à la fois incarné, stratégique, et résolument ancré dans le réel.