Soirée “Souveraineté numérique” : des ambitions affirmées, mais une mise en œuvre en demi-teinte 

 

En début de semaine, la ministre déléguée du numérique Clara Chappaz a réuni les acteurs du secteur pour une soirée consacrée à la souveraineté technologique. Les annonces faites sur place se sont révélées timides, presque cosmétiques et interrogent sur la crédibilité de ce désir d’autonomie stratégique.  

 

Le cloud est mort, vive le cloud. Alors que Nvidia annonçait investir 500 milliards de dollars dans des infrastructures aux États-Unis pour réduire sa dépendance à la Chine, de son côté, la France a elle aussi entamé des actions pour booster sa souveraineté technologique. Dans cet esprit, une soirée “Souveraineté numérique” s’est tenue cette semaine à Bercy, en présence de nombreux acteurs du cloud. Certains d’entre eux arborent fièrement le coq rouge de la French Tech sur leur veste de costume. Il s’agit là d’un signe, selon Clara Chappaz, ministre déléguée chargée du Numérique, que “la souveraineté numérique existe bel et bien et qu’elle est présente dans la salle”. Elle souligne son importance, en cette période troublée géopolitiquement par “la guerre commerciale idiote”, lancée par Donald Trump. 

 

Première étape : évaluer la dépendance 

 

Il s’agit d’une “période charnière”, ajoute-t-elle, qui exacerbe la demande pour une souveraineté accrue. Christel Heydemann, directrice générale du groupe Orange, confirme n’avoir jamais eu autant de clients s’en inquiétant. L’État français répond à cette préoccupation via plusieurs mesures, dévoilées en exclusivité lors de l’évènement. Tout d’abord, il faut faire le constat des dépendances technologiques françaises. Pour cela, un Observatoire de la souveraineté numérique sera lancé. Une initiative essentielle alors que “la plupart des entreprises ne savent même pas de qui elles dépendent”, explique Jean-Marc Lazard, co-fondateur de la plateforme SaaS Opendatasoft. Certaines collectivités territoriales ont déjà commencé ce long processus avec l’initiative TIEBREAK, qui vise à mesurer leur part de dépense numérique extraterritoriale. Résultat : une première estimation d’un milliard et demi d’euros, dont une partie pourrait être « re-routée » vers des solutions françaises ou européennes. De quoi dynamiser la filière française du numérique à l’heure où 80 % de la commande publique et des grands groupes est captée par des éditeurs de cloud américains.

 

Grossir pour mieux peser dans la balance mondiale 

 

Avec ce chiffre en tête, de nombreux acteurs ont réclamé lors des tables rondes que l’État montre l’exemple en termes de dépenses publiques. Le crédo des PME et des ETI s’est fait entendre : moins de subventions, plus de commandes, l’accès à des fonds propres étant vital à leur développement. Stéphanie Schaer, directrice interministérielle du numérique (DINUM), relativise cette demande récurrente en rappelant les chiffres : l’État dépense à ce jour 140 millions d’euros en matière de cloud, et 65% sont déjà captés par l’offre française. Peut-être pas par les sociétés de petites tailles, peu présentes lors de la soirée. Les grands acteurs de l’écosystème, comme Mistral AI ou Probabl, prédominaient. Tous sont cependant invités à participer à l’appel à projet du gouvernement pour renforcer l’offre de services de cloud. 

 

Influencer plutôt que de s’enfermer  

 

Les entreprises non sélectionnées figureront tout de même sur un annuaire des sociétés commercialisant des solutions de confiance. Une mesure concrète mais surprenante pour Jean-Marc Lazard : “Pourquoi pas, mais il existe déjà de nombreuses listes de solutions”. À ce catalogue se rajoute des journées de présentation rapide par les acteurs français auprès des décideurs du secteur public et des grosses entreprises. Une solution pour stimuler la demande française mais trop autarcique puisqu’elle laisse de côté l’enjeu du rayonnement international. En effet, l’autonomie stratégique ne peut être atteinte sans capacité d’influence en dehors des frontières françaises, la puissance technologique reposant en partie sur la capacité à exister et à peser dans des marchés globaux. 

 

Penser collectif pour se structurer et dépasser la fracture 

 

Pour répondre à cet enjeu d’influence, la French Tech doit “marquer des buts vers l’extérieur”, ajoute Jean-Marc Lazard. Et qui d’autre que l’Équipe de France du numérique, qui réunit toutes les parties prenantes du secteur, pour rayonner et gagner des parts de marché. Mais avant cela, elle doit d’abord se structurer et dépasser la fracture entre les petits et les grands acteurs. “Comme dans le foot, quand on met trop de stars mondiales sur le terrain, le collectif a du mal à prendre. Il faut réussir à raisonner collectif, et c’est tout le défi aujourd’hui pour structurer une véritable filière numérique”, résume Ludovic Donati, directeur du projet Lithium Ageli du groupe Eramet. L’ancien directeur de la transformation numérique du groupe pointe aussi les limites de l’équipe actuelle : comme dans l’industrie minière, les grands acteurs internationaux suivent les stratégies dictées par des enjeux globaux et n’adhèrent donc pas forcément à une dynamique strictement franco-française. 

Cela pourrait vous intéresser : L’autonomie technologique européenne passera-t-elle par les solutions d’IA ? 

 

 

OSZAR »